La commissaire de la CFPN Céline Auclair est la fondatrice du Centre d’Innovation des Premiers Peuples, une organisation autochtone à but non lucratif qui aide au développement de l’innovation sociale pour les communautés autochtones du Québec. La vaste expérience de la commissaire Auclair comprend du travail, au Canada et à l’étranger, dans les domaines du développement international, du développement du microfinancement, de l’imposition des Premières nations, des droits de propriétés, des questions de droit de la personne et des pratiques de bonne gouvernance.
Récemment, l’équipe d’Ouvrir le sentier a eu l’occasion d’interviewer la commissaire Auclair sur son expérience et son travail à la CFPN.
Avant d’occuper le poste de commissaire de la CFPN, vous avez travaillé pour l’organisation qui l’a précédée, soit la Commission consultative de la fiscalité indienne (CCFI). Pouvez‑vous nous parler de cette expérience?
Après avoir terminé mon doctorat, j’ai commencé à travailler, pour la CCFI, au tout premier cadre d’imposition foncière établi en vertu de l’article 83 de la Loi sur les Indiens. Quelques mois plus tard, j’ai commencé à travailler avec l’équipe à la création de la Gazette des premières nations. Au moment où je me suis jointe à la CCFI, la Gazette n’était qu’un concept. La CCFI en était au stade des essais de l’élaboration d’un cadre juridique permettant de donner aux textes législatifs des Premières nations le même statut juridique que les autres lois du Canada. Il était encourageant de voir que les chefs des Premières nations reconnaissaient l’importance d’élaborer une structure juridique pour les textes législatifs des Premières nations dans le cadre de leur architecture de gouvernance. Depuis lors, la Gazette des premières nations a pris beaucoup d’ampleur et la situation économique des Premières nations a changé radicalement.
À l’époque, le président travaillait fort à convaincre les Premières nations que l’imposition était une composante de base de leurs économies. Alors que je travaillais à l’obtention de mon doctorat à Genève, j’ai appris qu’afin d’être reconnu, un gouvernement avait besoin de trois choses : la reconnaissance de son autorité par le peuple, un territoire servant de base à son autorité, et la capacité d’exercer son autorité. Tout cela était alors théorique, mais, depuis lors, nous avons pu constater l’importance que l’imposition pouvait avoir pour un gouvernement. Elle lui permet d’acquérir de l’indépendance et lui sert d’outil pour bâtir l’économie. C’est un outil pour bâtir l’avenir. L’imposition génère des recettes stables et prévisibles qui permettent une planification pluriannuelle. La compréhension du pouvoir de l’imposition est la leçon la plus importante que j’ai tirée de mon expérience à la CCFI.
Tout au long de votre carrière, vous avez acquis une expérience internationale étendue. Comment cette expérience se rattache‑t‑elle à votre travail à titre de commissaire?
Le Forum des fédérations est une organisation de gouvernance internationale que j’ai cofondée et qui promeut l’apprentissage intergouvernemental sur les défis de gouvernance dans les démocraties à plusieurs niveaux. Au cours des 10 années que j’ai passées à cette organisation, j’en ai beaucoup appris sur les pouvoirs d’un État fédéral. Seulement 26 pays au monde ont une charte fédérale qui permet à leurs diverses composantes d’avoir leur propre compétence ou pouvoir constitutionnel. Dans certains pays, il y a une compétence constitutionnelle à deux niveaux, alors que dans d’autres, il y a trois ordres de gouvernement et des pouvoirs gouvernementaux, comme les pouvoirs monétaires ou la politique étrangère, qui peuvent être exclusifs ou partagés entre les divers ordres de gouvernement. Plusieurs pays innovent en ce qui concerne le partage des pouvoirs, et cela peut rendre très complexe la manière dont un pays gouverne.
J’ai appliqué ce que j’avais appris à mon travail à la CFPN, en y apportant mes connaissances, afin que nous puissions bien comprendre les avantages d’une constitution fédérale et la flexibilité qu’elle puisse accorder aux gouvernements pour exercer leur compétence indépendamment des autres gouvernements. La Constitution canadienne, telle qu’elle est rédigée, accorde aux Premières nations des pouvoirs gouvernementaux qu’elles détiennent indépendamment des autres gouvernements du pays. L’imposition est un bon exemple de ces pouvoirs constitutionnels. Pendant des décennies, les Premières nations n’ont pas exercé leurs propres pouvoirs sur leurs terres, ce qui a eu pour conséquence que d’autres gouvernements les ont exercés; et c’est encore le cas aujourd’hui dans certaines provinces. En exerçant leur compétence, les Premières nations font également valoir leurs pouvoirs en vertu de la Constitution.
Vous siégez au Comité des relations internationales de la CFPN. Pouvez‑vous nous parler du travail réalisé par ce comité?
Nous avons mis sur pied un comité consultatif international avec des Premières nations d’autres pays, dont les États‑Unis, l’Australie et la Nouvelle‑Zélande, qui ont dû faire face au mêmes questions d’imposition auxquelles nous devons faire face au Canada, afin d’apprendre d’elles. Nous nous sommes réunis à plusieurs reprises pour discuter des défis à surmonter et écouter des experts de ces autres pays parler de leurs réussites et des difficultés qu’ils avaient rencontrées en matière d’imposition. Ces réunions ont eu lieu sur une période de trois ans et nous ont été extrêmement utiles.
Nous avons également consulté des gouvernements de Premières nations émergents au Brésil et au Mexique, et nous avons trouvé ces réunions très intéressantes aussi. Le fait de voir de nouveaux chefs faire face, avec un regard neuf, au même problème que les autres Premières nations du monde entier a été une expérience d’apprentissage utile.
De plus, notre comité a tenu une bonne séance de travail avec l’économiste de renommée mondiale Hernando De Soto de l’Institut de la liberté et de la démocratie. M. De Soto, qui est un économiste péruvien, a écrit le livre intitulé Le mystère du capital, qui décrit le fait que l’absence de titres juridiques de propriété peut nuire au développement économique. Au cours de notre séance, nous avons discuté du fait que l’officialisation des droits de propriété avait contribué à une croissance économique de 280 p. 100 au Pérou et que d’autres pays qui avaient officialisé les droits de propriété avaient connu un succès économique semblable. Cela montre l’importance des droits de propriété et du travail que la CFPN réalise dans le cadre de l’Initiative du droit de propriété des Premières nations, ici, au Canada. Bien que la compétence et l’imposition soient les composantes de base des économies des Premières nations, les droits de propriété sont également au cœur de l’économie. Si l’on ne peut pas posséder ses propres terres, il peut être très difficile de planifier pour l’avenir. Le droit de propriété suscite parfois la controverse, mais la CFPN a travaillé fort à apprendre des réussites et des difficultés rencontrées par les Premières nations des autres pays, afin d’établir un régime de droit de propriété viable pour les Premières nations du Canada.
Je tiens à rendre hommage au président pour être un visionnaire et diriger les activités de la CFPN. J’encourage les Premières nations à travailler avec nous en plus grand nombre à l’établissement de gouvernements indépendants, stables et capables de faire valoir leur compétence constitutionnelle. Il est encourageant de voir le dynamisme des Premières nations de partout au pays, et je suis très optimiste quant à l’avenir.